Forum des Chefs d’Entreprise de Côte-d’Ivoire/Entretien : Jean Marie KONE vers un développement du secteur privé ivoirien
Dans un entretien, Jean Marie KONE, Pdg de Technopole Holding et Président du Forum des Chefs d’Entreprise de
Côte-d’Ivoire déballe les axes stratégiques pour le développement du secteur
privé ivoirien.
Quelles
sont les politiques et les incitations à mettre en place à l’échelle nationale
pour catalyser la diversification de l’économie ivoirienne ?
La
politique de diversification d’une économie aussi concentrée que l’économie
ivoirienne est certainement très complexe, d’une part en raison de l’emprise du
secteur du café cacao sur tous les secteurs économiques et d’autres part en
raison des rouages institutionnelles et des comportements, voire des
vicissitudes accumulées pendant une longue période de
gestion centralisée ; tout tourne autour de l’Etat et de la répartition de la
rente.
Cependant,
depuis quelques années des acteurs nouveaux ont émergé et sont engagés dans des
stratégies alternatives à la rente. Les incitations et les politiques à mettre
en place doivent viser la promotion de ce type d’acteurs et d’entreprises en
l’occurrence les PME et les Start Up en les aidant à se développer pour
atteindre une taille critique leur permettant de faire des économies d’échelle
et d’être innovantes. Ce n’est pas avec des TPE, qui constituent l’essentiel de
la population des entreprises en Côte-d’Ivoire et qui activent dans les
services basiques (transport, distribution, …), que l’on mène une politique de
diversification. Dans cette perspective, il faut créer un fonds
d’investissement bonifié par l’Etat pour aider à l’émergence de ces entreprises
de la diversification.
La
réussite d’une telle politique est conditionnée par l’introduction de
mécanismes de contractualisation pour éviter de tomber dans les comportements
de prédation qui consiste à prendre les incitations publiques et disparaître.
D’ailleurs,
les incitations budgétaires et fiscales doivent être adossées à des objectifs
de diversification : substitution aux importations, exportation, ou à intégrer
des chaines de valeurs mondiales.
Le
contrat entre l’État et une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une même
filière doit prévoir les incitations, les résultats attendus et les obligations
des deux parties. Dans le contexte présent de la Côte-d’Ivoire (niveau de développement des entreprises
locales et leur faible connaissance des marchés extérieurs), il est
indiqué de s’attaquer à la substitution aux importations.
Au
FCE-CI, nous sommes convaincus que l’innovation est l’un des leviers majeurs de
la transformation de l’économie ivoirienne. Nos entreprises doivent proposer
des produits innovants pour se distinguer de leurs concurrents. Un grand pays
comme la Côte-d’Ivoire doit se doter d’un système national d’innovation
efficace et performant qui permet un transfert des produits de la recherche
appliquée vers l’entreprise.
Dans
cette période de changement économique, que doit être le rôle des banques ivoiriennes
? Quels sont les besoins de la Côte-d’Ivoire quant au développement de ses marchés de
capitaux et d’autres moyens de financement ?
La
diversification économique implique effectivement une diversification des
sources de financement. C’est toute la question du passage du budget au marché
financier qui doit être prise en charge par les banques. Il faut aller vers une
diversification des produits bancaires qui seront adaptés aux besoins des entreprises.
Par
ailleurs, les banques sont les acteurs privilégiés des marchés financiers et
monétaires grâce à leur rôle d’intermédiation sur ces marchés. Aujourd’hui, le
système bancaire ivoirien est dominé par le secteur privé dans une proportion
élevée (85%) et il est opportun, pour la promotion d’une concurrence effective,
de diversifier aussi ce secteur en l’ouvrant au secteur privé national. C’est
par une concurrence saine que la modernisation du système bancaire peut se
faire.
Les
banques sont certes des acteurs cruciaux dans ce processus, mais les
entreprises doivent pouvoir se tourner également vers le marché obligataire, la
Bourse où les fonds d’investissements etc. dont le développement doit être
vivement et impérativement encouragé par l’Etat.
Quelles
sont les réformes nécessaires pour organiser et professionnaliser l’activité
d’exportation ?
C’est
à l’entreprise que revient la charge de conquérir des parts de marchés
extérieurs ; elle ne peut cependant pas le faire seule. Un certain nombre de mesures
qui relèvent de l’Etat et qui touchent aux procédures et règlements, aux aides
et subventions, à l’infrastructure et à la logistique, aux pratiques bancaires
et fiscales, doivent être prises pour engager une véritable dynamique
d’exportation.
En
2017, notre organisation a élaboré un document portant « Plaidoyer pour l’émergence
de l’économie ivoirienne ». dans ce document, nous avons identifié plus d’une
trentaine de mesures qui doivent permettre à notre environnement des affaires
encadrant les exportations d’être au même niveau de compétitivité et de
réactivité que les autres pays de la région. Sur la trentaine de mesures que
nous avons proposées dans notre Plaidoyer, près de la moitié est aujourd’hui
mise en œuvre ou en voie de l’être. C’est une avancée importante qui a été
réalisée en quelques mois.
Cette
démarche d’urgence ne nous fait cependant pas omettre de réfléchir à
l’élaboration d’une véritable stratégie dédiée au développement industriel.
Pour être opérationnel et efficace nous proposons la création sous l’autorité
de monsieur le Premier Ministre, d’un « comité de pilotage » constitué des
représentants de l’administration en charge de la promotion de la
transformation de nos matière premières, du FC-CI, des opérateurs, publics et
privés, ayant une expérience dans le domaine de la transformation et d’experts
en la matière. Ce comité aura pour tâche de faire élaborer un diagnostic
stratégique (état des lieux et objectifs) sur l’offre transformable des biens
et services en tenant compte des vocations agricoles, de la qualité du tissu
d’entreprises implantées et de la spécialisation industrielle quand elle
existe. Le diagnostic devra faire également l’état des lieux des
infrastructures existantes dédiées aux transformations (ports, aéroports, circuit
vert, plateforme logistique).
Sur
la base des résultats du diagnostic stratégique, il sera proposé un programme
d’actions précis et opératoire par couple de « produit-marché cible » sur les
mesures à mettre en œuvre pour garantir la réussite des opérations
d’exportation. Les mesures proposées peuvent être de nature législative,
institutionnelle (accords bi ou multilatéraux), réglementaire,
infrastructurelle ou de management et de process, notamment des programmes
ciblés de mise à niveau des entreprises et de la qualité des produits transformés.
Justement en ce qui concerne les entreprises, nous avons constaté que beaucoup
d’entre elles ne possèdent pas de plan marketing à l’international et que,
surtout, elles ont un déficit alarmant en termes de ressources humaines spécialisées
dans les transformations. C’est pour cela que l’une de nos recommandations
porte sur la création rapide d’un institut supérieur dédié aux « métiers » de
la transformation et de la mise en relation extérieure.
Pour
revenir aux marchés cibles, trois ensembles régionaux retiennent notre
attention, en priorité, l’Afrique où le dynamisme de la croissance économique,
dont le taux moyen annuel est d’environ 5% depuis plus d’une décennie, présage
enfin du décollage et du développement réel de notre continent. L’Union
Européenne, ensuite, avec laquelle il faudra nécessairement rééquilibrer
l’accord d’association en faveur de l’économie ivoirienne par le relèvement des
volumes transformables vers cette zone et l’assouplissement des barrières non
tarifaires, enfin, la Zone arabe de libre-échange.
Le
FCE-CI a mentionné la nécessité d’une « transformation radicale de
l’environnement des affaires ». Quels sont les aspects clés de cette
transformation et quelles sont les stratégies nécessaires pour effectuer une
telle transformation ?
D’abord,
nous devons créer un cercle vertueux dans lequel chaque maillon à un rôle à
jouer. Ainsi, l’Etat doit revenir à son rôle de
facilitateur-contrôleur-régulateur et laisser aux entreprises la liberté
d’entreprendre, d’investir et de prendre des initiatives.
Ensuite,
plusieurs priorités doivent être prises en considération. Notre préoccupation
est d’abord d’assurer le développement et la promotion de la production
nationale de biens et de services dans le contexte d’une économie ouverte.
Cela
nécessite la mise en œuvre de solutions structurelles à la fois à travers des
mesures transversales, touchant tous les aspects (financement, foncier
industriel, fiscalité, gouvernance économique…) et des mesures sectorielles
focalisant les efforts de relance notamment sur les filières pour lesquelles
notre pays possède des avantages compétitifs clairs et exploitables et celles
dont le développement revêt une importance évidente en matière de substitution
aux importations, dans la production comme dans les services.
Nos
priorités vont notamment à la réforme du système financier national dans toutes
ses composantes dans le but de faire évoluer l’implication des banques dans le
financement de l’économie, d’élever le taux de bancarisation, d’asseoir le rôle
des compagnies d’assurance dans la captation de l’épargne et de dynamiser la
bourse pour inscrire de nouveaux réflexes de financement des projets tant des
PME que des grands groupes algériens.
Le
FCE-CI s’engage à soutenir toute initiative visant à promouvoir un
environnement des affaires favorables en levant toutes les entraves qui s’y
dressent et en travaillant à faciliter la vie des entreprises.
Comment
la Côte-d’Ivoire peut-elle attirer plus
d’Investissement Direct à l’Etranger (IDE) ?
En
vérité, nous pensons que cette insuffisance d’attractivité des IDE n’est pas
liée aux aspects juridiques mais à de nombreux facteurs sur lesquels nous
travaillons avec les plus hautes autorités. Le FCE-CI est engagé dans la concertation avec les
administrations pour imaginer des solutions aux dysfonctionnements actuels que
nous nous attachons à réduire. Nous nous attelons notamment à lutter contre
l’économie informelle et le phénomène de la contrefaçon qui dissuadent les
investisseurs. Des dispositifs de régularisation volontaire au niveau des
différentes administrations économiques publiques ont été mis en place afin de
réduire l’impact de cette concurrence malsaine. Nous avons également préconisé
des mesures pour améliorer l’accès au financement notamment en modernisant le
marché bancaire et l’accès au foncier industriel. Des mesures plutôt
encourageantes ont été annoncées dans le cadre du projet de loi de finances
2017.
D’ailleurs,
je rappelle qu’un nouveau code des investissements a été promulgué tout
récemment et que le cadre de régulation de l’IDE a été réajusté. Il prévoit des
« avantages supplémentaires au profit des activités privilégiées (industrie,
agriculture et tourisme) », notamment l’allongement de la durée des exemptions
accordées aux investisseurs.
De
quelle manière la Côte-d’Ivoire devrait-elle procéder pour monter sur la chaîne
de valeur ?
Chaque
filière a sa chaîne de valeur et chaque chaîne de valeur a ses spécificités
(technologiques, marchés, accès aux ressources, facteurs clés de succès…).
C’est
dans le cadre de la stratégie industrielle (études des filières) que ces
questions sont posées et des choix de positionnement sur les chaînes de valeur,
nationales ou mondiales, sont définis. Dans cette perspective, la Côte-d’Ivoire
peut, avantageusement, se positionner
sur quelques chaînes de valeurs mondiales (industries agroalimentaires,
mécanique-automobile, électronique grand public, chimie/fertilisant, énergies
renouvelables).
Ici
aussi, l’Etat doit identifier, après diagnostic des différentes chaînes de
valeur, celles où un avantage compétitif existe ou peut être construit
localement. Un système d’incitation peut être mis en place pour susciter des
dynamiques locales en vue de positionnement sur des chaînes de valeur mondiales.
La
compétitivité des entreprises sur un segment d’une chaîne est le critère
principal, car se placer sur une chaîne de valeur signifie que l’entreprise se
projette sur un marché mondial et, grâce à des économies d’échelle, elle peut
améliorer encore sa compétitivité. Généralement, on utilise le marché local
comme cible pour monter en cadence, en expérience et en échelle pour bâtir une
compétitivité durable qui permet l’accès aux chaînes de valeur mondiales. Les
filières citées précédemment peuvent constituer un premier terrain d’exercice
et d’expérience pour les entreprises ivoiriennes dans le cadre d’une
sous-traitance pour le marché local comme c’est le cas pour l’industrie, ou
pour la valorisation d’une ressource naturelle, ou encore la consolidation
d’une compétitivité déjà construite localement.
Quels
sont les besoins des PME ivoiriennes et quelles sont les mesures à mettre en
place afin d’impulser leur croissance ?
La
PME est un axe de travail majeur du FCE-CI car nous sommes persuadés que
développement du tissu des PME est une nécessité absolue pour la transformation
de l’économie ivoirienne. Nous en sommes à 20.000 PME tout au plus actuellement
alors que ce type d’entreprise doit être le vecteur pour un développement
économique durable.
Le
FCE-CI avait revendiqué la révision de la loi d’orientation de 2012 relative au
développement et à la promotion de la PME pour mettre en place un nouveau cadre
législatif à l’effet de relancer le développement de ce type d’entreprises qui
constitue le gisement le plus important pour la croissance et la création
d’emplois. C’est maintenant chose faite ; un projet de loi vient d’être déposé
au Parlement ; il ne devrait pas tarder à être adopté.
Cette
nouvelle loi réorganise les mécanismes de concertation entre les divers acteurs
concernés en jetant les bases d’une élaboration et d’une mise en œuvre
participative de la politique en direction de la PME, comme elle réorganise le
dispositif institutionnel d’appui et d’accompagnement de la PME.
En
fait toutes nos propositions qui s’articulent autour du climat des affaires
seraient bénéfiques au PME. Les porteurs de projets pour la création de PME
ont, avant toute chose, besoin d’informations sur le marché qu’elles ciblent. A
cet effet, un système d’information, d’intelligence et de veille doit être mis
en place pour leur permettre de mieux connaitre le domaine dans lequel ils
souhaitent investir et toutes les procédures pour la création d’une entreprise.
Pour
réduire le taux de mortalité de ces entreprises, les gestionnaires de ces PME
doivent être orientés et accompagnés jusqu’à ce qu’ils soient rôdés en matière
de management et surtout de réseautage.
Evidemment,
la question du financement se pose également avec acuité pour les PMEs qui sont
souvent marginalisées par les banques. Or, elles rencontrent encore plus de
difficultés que les grandes entreprises pour lever des fonds pour financer les
investissements. Face aux difficultés d’obtenir des crédits d’investissements
bancaires, nous préconisons donc l’élargissement de la gamme des instruments de
financements (fonds d’investissements, Business Angels...) et de développer
de nouvelles approches pour répondre aux besoins des PME.