Décès du Ministre Kabran Appia : la "Génération Campus Info" rend hommage à l'illustre disparu
Le mercredi 24 novembre 2021, Abidjan, Côte d’Ivoire lors de la veillée de feu le ministre Kabran Appia, les Anciens de la "Génération Campus Info" ont rendu un vibrant hommage à l'illustre disparu. Le discours à été lu par Maître Abbé-Yao, Avocat à la Cour, Ancien Bâtonnier de l'ordre des Avocats de Côte d’Ivoire.
Texte :
HOMMAGE DE LA GENERATION CAMPUS INFO AU
MINISTRE KABRAN APPIA
Chers Parents, chers amis, collègues
et Confrères, chers frères et sœurs de la Génération Campus Info, comme chaque fois que la
grande faucheuse arrache un des nôtres à notre affection, nous nous regroupons
dans un réconfort utopiste car,
à plusieurs,
nous nous sentons plus forts, mais nous n’en sommes pas moins tristes.
Il
est des moments de la vie dont on se passerait. Pourtant avertis de notre finitude
par le Docteur Schwartzenberg qui
disait que « la vie et la mort sont comme deux sœurs jumelles adossées
l’une à l’autre », on ne s’y résout pas, je ne m’y résous pas.
Le maitre de la parole s’est tu à
jamais. Kabran Appia, l’un des esprits
les plus brillants de notre génération, a rejoint ses ancêtres, dans le silence
éternel, sans même que nous ayons pu lui dire au revoir…La mort est
cruelle !
Normalement, il revient à Yao Noël,
son adjoint naturel par le débit du verbe, de prendre la parole pour témoigner
et lui rendre hommage au nom de nous tous, ses condisciples, mais la minorité lucide (je reviendrai sur cette atypique notion), a décidé que c’est à moi de
le faire, alors j’ai accepté. Après tout, chez nous les gens de robe, il est
d’usage que le Bâtonnier rende hommage à un confrère décédé. Et dans notre
génération, je reste le Bâtonnier, même ancien, et Me Kabran Appia, un
distingué Confrère.
Il me revient donc ce soir, la difficile
mission de prononcer, la gorge serrée, l’hommage
posthume de
notre frère que nous avons aimé, que nous aimons et que nous aimerons toujours, de parler de tous ces «
Bouts de Chemins de Vie » qu’il aura fait avec chacun de nous et de ce
qu’évoquera, à tout jamais, son nom au sein de cette génération à laquelle il
a appartenu pendant plus
de quarante (40) ans.
Que
dire, que retenir de notre ami et frère Kabran Appia ?
Nous
l'avons connu, depuis les années 1978, à ce qui était alors l’Université
Nationale de Côte-d’Ivoire, aujourd’hui Université Félix Houphouët Boigny.
Il
était inscrit à la faculté de droit avec la plupart d’entre nous et a intégré
plus tard l’équipe de Campus Info, journal étudiant crée par Yao Noël au début
des année 1980.
Appia était
passionné par ses études de droit comme par tout ce qu’il acceptait de faire ;
il détestait déjà à l’époque, l’approximation et faisait donc le distinguo entre les étudiants en droit et les apprentis
juristes, cette seconde catégorie désignant, à son sens, ceux qui faisaient leurs études de
droit en dilettante.
Nous l’appelions affectueusement le « Chief Talker » (le maître de la parole), parce qu’il aimait parler, savait parler, et parlait beaucoup. Très cultivé, passionné et résolument ancré politiquement à gauche, il était tout simplement brillant. Qui plus est, il en était conscient et convaincu ; souvent,
jusqu’à l’entêtement.
Notre
ami et frère Venance Konan se souvient d’une
discussion qu’ils ont eue à l’époque à Campus Info sur un certain sujet. Dans
l’impossibilité de trouver un consensus, ils passèrent au vote pour trancher.
Appia fut mis en minorité. Mais il refusa d’accepter sa défaite, au motif qu’il y a souvent « des majorités
stupides et des minorités lucides ».
Depuis, la formule a été comme brevetée et nous en rions encore jusqu’à
ces derniers temps ; nous continuerons d’en rire, en souvenir de lui.
Appia
avait une haute idée de sa liberté et de sa justice et
ne transigeait pas avec ses principes et ses convictions, ce qui pouvait lui donner une apparence d’homme
cassant ou suffisant, radical pour certains, mais il n’en était rien.
Le
Chief Talker n’était juste pas
formaté dans le moule de la diplomatie. Il était
franc, direct, disait sans fioriture ce qu’il pensait, ce qu’il croyait être
juste, sans rancune et sans regret.
Les
anecdotes à ce sujet sont nombreuses, je vais me limiter à en donner des
échantillons. Nous en ferons une compilation plus exhaustive plus tard, lorsque
l’étreinte de l’émotion se sera un peu desserrée.
Yao
Noël, fondateur de Campus Info et, en cela, pilier de la génération du même
nom, raconte qu’un jour à Cocody, son frère et ami Kabran Appia le regarde
droit dans les yeux et lui dit : « tu
m’étonnes Yao Noël, tu vas militer au PDCI, je te croyais plus intelligent que
ça ». Noël est resté sans voix !
Le
frère Désiré Gaudji, aujourd’hui Président de chambre au Conseil d’Etat, se
souviendra longtemps encore de cette appréciation/évaluation sans appel de son
ami Kabran Appia, du même groupe de travaux dirigés que lui, suite à un exposé
en droit administratif un peu bâclé, présenté en tandem avec Venance Konan.
« Rien en droit ne justifie un tel plan » fit
observer Kabran Appia dès la fin l’exposé.
Interpelé par un Désiré vexé, sur ce qu’aurait été le plan que le droit devrait
justifier, la réponse de Kabran Appia jaillit comme une saillie « Je
ne suis pas chargé de faire le plan de l’exposé, mais de le critiquer » ;
fermez le ban !
Paulin
Djité, un autre des frères de la Génération que la nouvelle du décès brutal a
bouleversé raconte : « Je suis allé consulter mes emails pour relire
quelques échanges que j’ai eus avec le Chief
Talker. Exemple, lorsqu’il venait de perdre son poste ministériel, j’ai cru
pouvoir lui remonter le moral en lui disant « Dieu merci de t’avoir sorti
de ce panier à crabes, Chief. Tu vas pouvoir te consacrer à ta vraie
passion : la pratique du droit. Le Chief Talker me
répondit : « Ah non, il n’est pas question de laisser la
politique aux incultes ! ».
Tel était notre « Chief Talker », redoutable débatteur, excellent
rhétoricien, avec qui ses adversaires craignaient de croiser le fer.
Un jour, plaidant à l’audience de la
Juridiction Présidentielle de la Cour Suprême, Me Kabran Appia faisait étalage
de son immense savoir. Agacé par la longueur de son intervention, le Président
l’interrompit en ces termes : « Maitre, allez droit au but, nous savons tout ça » ! La réplique de Me Kabran Appia fusa, « vous le
savez parce que je viens de vous le dire » ; et il continua sa plaidoirie, sans désemparer.
Professionnel irréprochable, juriste et orateur remarquable, il a
toujours joui de l’admiration de ses étudiants et de la considération et de la
sympathie de ses congénères, de ses collègues, de ses confrères et même de ses
adversaires.
Les étudiants qu’il a formés avec abnégation,
parallèlement à ses activités politiques et son métier d’Avocat, sont
aujourd’hui banquiers, juristes d’entreprises, Avocats, Magistrats, pour
certains déjà hors hiérarchie et exerçant à la Cour de Cassation ou au Conseil
d’Etat.
Sur le plan humain, il était blagueur
et chaleureux. Il avait ses coups de colère, mais cela ne durait jamais bien
longtemps et pouvait être suivi, l’instant d’après, d’une invitation à partager
un vieux rhum et quelques bons cigares.
Alors,
Monsieur le Ministre, cher Confrère, Chief, si répondant en échos à Emmanuel
LEVINAS, tu t’es demandé « si ta vie reste encore l’expression d’une
personne, c’est-à-dire une valeur normative vers laquelle il faut
tendre » ? Par ma voix, tes
amis et frères de la Génération Campus Info répondent par l’affirmative. Tu
n’as certainement pas vécu en vain.
Chers
parents, chers frères, chers amis, Marie-Laure, Cédric, Marie-Virgile, Rozenn,
si nous sommes tristes, et nous avons de bonnes raisons de l’être, si nos cœurs
sont meurtris à juste raison, suspendons cependant nos ressacs de sanglots, car
nous avons l’assurance qu’il nous restera de Monsieur le Ministre Kabran Appia,
votre époux, votre père, le souvenir intemporel de l’intellectuel brillant que
notre pays, la Côte-d’Ivoire, vient de perdre.
Mieux,
je suis porteur d’une bonne nouvelle, que j’emprunte à Jean
D’Ormesson : « Il y a quelque chose de plus fort que la mort,
c’est la présence des morts dans la mémoire des vivants » !
Kabran Appia ne sera donc jamais effacé du
disque dur de la mémoire de la Génération Campus Info. Chaque
jour que le Tout Puissant Miséricordieux nous donnera de lui survivre, nos
prières et nos pensées positives seront les grelots de ses pas dans son Saint Paradis.
Monsieur
le Ministre, frérot, puisque tu es parti sans nous dire aurevoir, tes amis, tes
frères, tes sœurs de la Génération Campus Info te disent aurevoir. Ton verbe
haut, ton rire si particulier, tes petits yeux railleurs vont nous manquer, ils
nous manquent déjà.
Maintenant, que le bateau ivre t’emmène,
malgré les tangages et roulis, et te fasse accoster au Havre de Paix promis aux
hommes biens, aux hommes de bien.
Reposes en
paix, éternellement !