Litige foncier de la station de recherche marc Delorme : le Cnra établit la vérité et appelle l’Etat à sécuriser ses sites
La
recherche agronomique ivoirienne était conduite à l’origine par les structures
françaises de recherche. C’est ainsi que l’Institut de Recherche sur les Huiles
et Oléagineux (IRHO) a été chargé de mener des actions de recherche sur le
palmier à huile et le cocotier. Ce faisant, pour mieux conduire les activités
de Recherche qui lui ont été dévolues, sur le territoire Ivoirien, un accord a
été signé entre la République Française et la République de Côte d’Ivoire, le
13 avril 1962 créant IRHO (Institut de Recherche sur les Huiles et Oléagineux).
C’est
dans le cadre de cet accord que l’Etat de Côte d’Ivoire par un arrêté N° 0571
du 22 mai 1967 a mis à la disposition de la station Marc Delorme de Port-Bouet
une superficie de 788 ha situées à 12 Km de Gonzagueville. Un tel domaine
devait permettre l’extension du site expérimental initial dont les laboratoires
et les bureaux, se trouvaient, auparavant, sur la route de Bassam (aujourd’hui
Gonzagueville IRHO/Station) avec quelques parcelles expérimentales.
Après
l’extension sur le nouveau site qui est le site actuel, les travaux de terrain
se déroulaient à la fois sur le site d’extension et l’ancien site. Les
activités de laboratoire, les bureaux pour le personnel administratif et les
logements des cadres et des techniciens se trouvaient jusqu’alors à
Gonzagueville (Route de Bassam).
C’est
en 1979, avec l’extension de l’aéroport que le décret N° 79200 du 17 mars 1979
a été signé, conférant à l’ancien site de la Station de Recherche CNRA de
Port-Bouet (site de Gonzagueville) le statut d’utilité publique par le
Président Félix Houphouët Boigny.
Ainsi
par courrier N° 608 du 27 septembre 1979, le gouvernement de Côte d’Ivoire a
mis à la disposition de l’IRHO des moyens financiers pour le transfert des
laboratoires, des bureaux et des habitations sur le site d’extension octroyé
par arrêté N° 0571 du 22 mai 1967. Donc, ce nouveau site n’a rien à avoir avec
l’ancien site déclaré zone d’utilité publique par le décret N° 79200 du 17 mars
1979 auquel les opérateurs économiques du secteur privé font allusion.
En somme, c’est qu’au
motif de ce que le site de la Station de Port-Bouet a été déclaré d’utilité
publique, un certain nombre d’opérateurs économiques s’en sont prévalus pour
demander l’appropriation du nouveau site qui n’est nullement concerné par une
telle disposition.
En
1990, les structures françaises sont devenues les structures d’Etat de la Côte
d’Ivoire. Pour prendre la recherche agronomique en main, l’arrêté N° 0237 du 12
octobre 1993 a consacré la création d’une cellule de gestion appelée IDEFOR
(Institut des Forêts) pour la zone de forêt et l’IDESSA pour la zone de Savane.
L’IDEFOR regroupait les anciennes structures de Recherche agronomique
françaises de la zone de forêt. Toujours, pour redynamiser la Recherche, l’Etat
de Côte d’Ivoire a décidé par le décret N° 98-326 du 15 juin 1998, la création
du Centre National de Recherche Agronomique (CNRA) signé par le Président Henri
Konan BEDIE, regroupant trois structures de Recherche. Il s’agit de l’IDEFOR,
l’IDESSA et CIRT).
De cette façon, le
patrimoine foncier détenu par les ex-structures françaises de recherche a été
rétrocédé au CNRA, selon les mêmes termes que ceux prévalant avec ces anciennes
institutions de recherche.
Ainsi,
sur la base de cette concession, vingt-deux mille cinq cent (22.500) hectares
ont été concédés au CNRA pour y mener des activités de recherche et tester dans
des conditions « grandeur nature » toutes les nouvelles variétés
performantes sélectionnées au profit des populations et des sociétés
agro-industrielles.
A
titre d’illustration, depuis sa création, le CNRA met en œuvre en moyenne 20
programmes de recherche, portant sur toutes les productions végétales (cultures
de rente et vivrières) et animales pertinentes pour le pays. Ces 17 dernières
années, ce centre s’est révélé être un instrument indispensable pour l'atteinte
des objectifs du Programme National de Développement Agricole (PNDA). Ainsi,
par l'amélioration de la productivité et de la compétitivité agricoles,
notamment des cultures de rente et vivrières, le CNRA contribue à la réduction
de la pauvreté et à la quête de la sécurité et de la souveraineté alimentaires.
Grâce à son génie créateur, le CNRA a mis en œuvre :
-
le cacao 18 mois ou cacao Mercedes qui est une variété de cacao précoce dont le
rendement est d’au moins 3 tonnes contre 500 kilogrammes par le passé ;
-
le café Émergence, une variété de café à haut rendement qui entre en production
au bout de 12 mois seulement avec un rendement de 3,5 tonnes contre 500
kilogrammes;
-
la reconstitution du schéma de production de semences améliorées de coton qui a
permis le redémarrage de la production du coton dans la zone nord du pays,
après la crise socio-politique ;
-
les variétés améliorées de manioc appelées « BOCOU », avec un rendement de 30
tonnes/ ha;
-
les techniques de production de contre-saison à haute intensité pour la banane
plantain;
-
la diffusion de matériel végétal plus productif d'anacardiers…
Il
est important de souligner que les innovations suscitées proviennent des
importantes collections de ressources génétiques dont la conservation,
l'entretien, le maintien et la sauvegarde sont assurés par les équipes du CNRA
sur le patrimoine foncier qu’il détient.
Le
CNRA dispose de 20 stations de recherche et d’expérimentation et de 18 sites
annexes couvrant 27 198 ha, dont 13 602 ha dotés d'un titre foncier au nom des
anciennes structures françaises de recherche; 12 415 ha dotés d'un arrêté
ministériel et 1 181 ha résultant d'accords selon le droit coutumier.
Si
avant la création du CNRA, la question de l’agression du patrimoine foncier du
CNRA était minime (34 ha dont 32 ha de cacaoyer et 2 ha de caféier infiltrés
par des producteurs à Oumé, en 1985), cette question est devenue plus
récurrente et s’est accrue avec :
-
l’infiltration de 1050 ha du domaine
CNRA à San Pédro, sis au Pont Bascule, sur la route de Soubré à 20 Km de San
Pédro par des producteurs ;
-
l’occupation de 5 ha de l’ancien site de
la SRT du CNRA devenue domaine de l’ordre de Architecte, au Carrefour de la
vie, à Cocody, en septembre 2008;
-
l’occupation de 35 ha en 2008, du site
expérimental de la Station de Recherche de Bingerville qui abritait la
collection de cacaoyers pour la construction de l’Hôpital Mère-Enfant ;
-
etc…
Malgré
l’occupation des sites ci-dessus indiqués, l’agression du patrimoine foncier du
CNRA est devenue beaucoup flagrante et inquiétante, avec le cas de la Station
Marc Delorme de Port-Bouët, site de 788 ha, dédié à la recherche sur le
cocotier.
En
effet, vu la qualité et la quantité des activités de Recherche menées sur le
cocotier, la station Marc DELORME dispose actuellement d’une cocoteraie de 125
variétés d’origines diverses et mondialement reconnues. Cette particularité, en
termes de diversité des variétés et de disponibilité de ces mêmes variétés au
niveau du cocotier au même endroit, dans un même espace, vaut à la Station de Recherche du CNRA sur le
Cocotier le privilège d’être érigée au
statut de patrimoine mondial depuis 1999 par la FAO et IPGRI (devenu Bioversity
International). Ce statut a été renouvelé en 2007. Partant de ce fait, la
collection des variétés de cocotiers originaires des différents pays conduisant
des activités de recherche sur le cocotier, à travers le monde entier et
conservées à la Station CNRA de Port-Bouet a reçu l’appellation de Collection
Internationale des Ressources Génétiques du Cocotier. Le CNRA a, alors, au nom
de l’Etat de Côte d’Ivoire pris un engagement international auprès de la FAO et
de Bioversity International (anciennement IPGRI) pour garantir sa gestion, en
vue de permettre à tous les pays demandeurs de disposer de ces ressources en
quantité et en qualité.
C’est
à partir de 2009, que les problèmes fonciers à la Station Marc DELORME ont
commencé avec le village voisin de Mafiblé 2. En fait, ce village n’existait
pas avant ; les occupants du site ayant été dédommagés à hauteur de
28.192.963 F pour 20 personnes, depuis l’année 1980 par l’Etat de Côte
d’Ivoire, avant le transfert des infrastructures, en 1979.
C’est
par pure et simple générosité des responsables d’alors qu’une parcelle a été
cédée à certains travailleurs originaires des pays voisins qui faisaient valoir
leur droit à la retraite. Un conflit a éclaté entre le Station CNRA de
Port-Bouet et les habitants de MAFIBLE 2, au sujet d’une parcelle abattue par
le CNRA pour des besoins de replantation que les villageois voulaient
récupérer. C’est ainsi que le Préfet de la région d’Abidjan a été saisi. Après
avoir rencontré la population de ce village (Mafiblé 2), le Préfet a adressé un
courrier (N° 170/PA/SG/D2) le 16 mars 2009 à la Station Marc DELORME du CNRA,
l’autorisant à poursuivre ses activités de recherche sur cette parcelle
conformément à son chronogramme.
La
même année 2009, un courrier du collectif des villages Ebrié avec des documents
d’appui du Ministère de la Construction et des Grosses de justice qui leur
confèrent le statut de propriétaire a été remis aux responsables de la Station
CNRA de Port-Bouet. Ni les responsables de la station Marc DELORME du CNRA, ni
la Direction Générale du CNRA n’avaient été saisies auparavant d’une telle
démarche qui n’a nullement tenu compte de l’existence du CNRA. Alors, les autorités
compétentes ont été saisies, à savoir :
-
le préfet d’Abidjan ;
-
la justice ;
-
notre Ministère de tutelle (Ministère de
l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique).
Le
Préfet de région d’alors, en fonction, a visité la station Marc Delorme pour
s’imprégner de ce dossier avant de recevoir les Ebrié. Au cours de leur
rencontre, il leur a intimé l’ordre de laisser travailler le CNRA, sauf
décision contraire du Chef de l’Etat. Une décision de justice avait également
consacré la suspension des activités de destruction.
Sur
la base du constat fait en faveur du CNRA et de sa Station de Recherche Marc
Delorme, notre Ministère de tutelle saisi, a adressé une correspondance aux
Ministres de la Défense et de la Construction pour qu’une communication en conseil
des ministres soit faite pour informer le Gouvernement. Toutes les démarches
sont restées sans suite.
Cependant,
en vue de matérialiser les limites du site de la Station Marc Delorme, pour
éviter les conflits, une équipe du Ministère de la Construction a été reçue sur
la station. Celle-ci a procédé au bornage du site du CNRA.
C’est
à partir de 2012, alors que les activités scientifiques et de recherche se
déroulent correctement sans aucune perturbation, des opérateurs économiques
sont venus prendre contact avec les responsables du site de Port-Bouet pour
leur indiquer les limites du domaine CNRA. N’ayant eu aucun retour du travail
fait par ces opérateurs, c’est donc, avec surprise et contre toute attente
qu’en août 2014, nous apprenions, par voie de presse, le lancement de deux
enquêtes de commodo et incommodo sur les parcelles du CNRA pour lesquelles les
responsables ont fait opposition.
En
outre, le 05 février 2015, 2 bulldozers ont été parqués nuitamment dans le
village de Mafiblé 2 où les conducteurs ont passé la nuit afin de pouvoir
détruire les cocotiers très tôt le matin. Le lendemain matin, tous les
travailleurs se sont rendus dans le village. Le Directeur de la Station Marc
DELORME, a informé la gendarmerie et le Directeur Régional du CNRA des
évènements. Les conducteurs des 2 bulldozers ont quitté les lieux en présence
du Commandant de Brigade de la gendarmerie de Vridi et du Directeur Régional du
CNRA.
Le
lundi 16 février 2015, un chargeur frontal est arrivé vers 13 h accompagné des
agents en tenue se faisant passer pour des FRCI. Ce chargeur frontal a abattu
109 pieds de cocotier, soit près d’un hectare. Les travailleurs mobilisés,
l’ont arrêté. Le commandant de Brigade de la gendarmerie de Vridi a été
informé. Ce dernier a, à son tour aussitôt, informé les responsables des FRCI.
Tous, arrivés sur le lieu ont constaté que les éléments soit disant FRCI n’ont
été mandatés par personne.
Une
plainte a été déposée par le CNRA contre les commanditaires, mais celle-ci est
restée sans suite.
En
2017, en vue de mieux s’imprégner de la situation qui perdure depuis 2009 et
pour laquelle l’Etat a été constamment interpellé, l’Etat a mandaté une mission
gouvernementale (Présidence de la République, Primature, Ministère de la
Construction, du Logement, de l’Urbanisme et de l’Assainissement, Ministère de
l’Agriculture, Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
Scientifique) qui a entendu toutes les justifications avec preuves de
l’existence et de l’importance de la station au plan national, international et
surtout de son rôle dans le développement de la cuniculture, à travers la
création de nouvelles variétés au moins dix (10) fois plus productives que les
variétés traditionnelles. Des visites de terrain ont été faites après les
exposés. A la suite de ces visites, des réunions d’explication ont également
été faites à la primature.
Mais
grande est notre surprise de constater que la primature a sollicité le CIRAD
(Centre International pour la Recherche Agricole et le Développement) de la
France pour un appui technique à l’Etat de Côte d’Ivoire (Primature), en vue de
transférer la Station Marc DELORME du CNRA et la collection internationale de
cocotier classée patrimoine international pour permettre la mise en place de
programmes immobiliers au profit d’acquéreurs privés, au motif de
l’Urbanisation du Grand Abidjan qui doit se mettre en place.
Il
est à noter qu’à travers le monde, des Stations de recherche sur le cocotier
existent bel et bien en ville dans des pays comme c’est le cas en Inde, aux
Philippines…. Même en Côte d’Ivoire, la forêt classée du banco est en pleine
ville d’Abidjan.
Si l’option du
transfert de la Station du CNRA de Port-Bouet vers un autre site est prise par
l’Etat de Côte d’Ivoire au détriment de sa Recherche Nationale, et plus
précisément, des engagements internationaux relatifs à la gestion de la
Collection Internationale de Cocotier, quel sera le sort des autres sites du
CNRA, notamment Anguédédou, Bimbresso, Bingerville, etc où des problèmes
fonciers récurrents se posent ?
Au
regard de l’importance de la Recherche Agronomique nationale qui a été reconnue
comme étant stratégique (Communication en Conseil des Ministres du 06 décembre
2017), il appartient à l’Etat de Côte d’Ivoire de sécuriser le patrimoine
foncier du CNRA, en Général, et celui de la Station de Recherche de Port -
Bouet, en particulier. Pour y parvenir, l’Etat devra prendre :
-
un décret présidentiel d’urgence pour
sécuriser et garantir la non-agression du patrimoine foncier du CNRA,
-
la rétrocession des sites occupés (San
Pédro, Oumé, Cocody et Bingerville) ou en cours d’occupation (Site de la
Direction Générale du CNRA) au CNRA,
-
la prise en compte du problème foncier
du CNRA dans l’ordre du jour des travaux du groupe de travail mis en place par
le gouvernement suite à la communication en conseil des Ministres du 06
décembre 2017 et dont le terme des travaux est prévu pour la fin du mois de
mars 2018,
-
déclarer dans ce décret le patrimoine
foncier du CNRA d’utilité et d’intérêt nationaux et internationaux,
-
clôturer, en urgence, la Station CNRA de
Port-Bouet et les autres sites graduellement,
-
Recaser ou rembourser les privés à qui
le site du patrimoine mondial détenu par le CNRA a été vendu.
Fait à Abidjan le 14 février 2018
Équipe de Recherche de la Station Marc Delorme
sur le cocotier
Collectif des Syndicats du CNRA