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Dr Maria Rebollo Polo : « Les médicaments contre les maladies tropicales négligées sont disponibles et gratuits »

IvoirInter24 08 Juin 2018 - 11H22
Maria Rebollo Polo, chef d’équipe du Projet spécial élargi pour l’élimination des maladies tropicales négligées (ESPEN)

La lutte contre les maladies tropicales négligées (MTN) constitue le 3ème grand défi de santé publique en Afrique. Sur le continent, beaucoup d’initiatives sont en cours contre ces fléaux. Le Projet spécial élargi pour l’élimination des maladies tropicales négligées (ESPEN) est une des initiatives prises. Le chef d’équipe, Dr Maria Rebollo Polo, parle de ce projet qui s’est fixé pour but de transformer les MTN en maladies tropicales éradiquées (MTE). Entretien.


Dr Maria Rebollo Polo, vous êtes la coordonnatrice du Projet spécial élargi pour l’élimination des maladies tropicales négligées. Pouvez-vous décliner ses grandes lignes ?

Le Projet spécial élargi pour l’élimination des maladies tropicales négligées est un projet quinquennal lancé en mai 2016 par le Bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé pour l’Afrique. Nous avons pour objectif d’accélérer le contrôle et l’élimination des 5 maladies tropicales négligées pouvant faire l’objet d’une chimiothérapie préventive sur le continent africain. Ces maladies sont l’onchocercose, la filariose lymphatique, la schistosomiase, les vers intestinaux et le trachome.

En quoi se distinguent-elles des autres maladies ?

Les Maladies tropicales négligées sont des pathologies qui touchent plus de 1,4 milliard personnes. Elles sont à l’origine de plus de 534.000 décès par an à travers le monde. Très répandues dans les régions tropicales, avec notamment 39% des cas en Afrique, les MTN ont un impact énorme sur l’espérance de vie, l’éducation et les opportunités économiques des individus affectés et de leurs communautés.

Comment comptez-vous les éradiquer ?

Nous fournissons aux Programmes nationaux de lutte contre les MTN un appui technique et financier. Nous nous assurons qu’ils disposent des données, de l’expertise et des ressources financières dont ils ont besoin pour accélérer la lutte contre ces maladies en coordonnant les partenaires et en fournissant une assistance technique.

Quelles sont les priorités ?

Nous en avons 4. La première, c’est couvrir 100% des zones touchées par ces maladies. Faire en sorte que sur le continent africain, les populations aient accès aux traitements. La deuxième priorité, c’est aider les pays à éliminer les 5 maladies à travers la mise en place d’un système de surveillance performant. La troisième, c’est l’amélioration de la qualité des données au niveau des pays pour leur permettre de prendre des décisions claires. La quatrième priorité stratégique, c’est d’aider les pays à faire une distribution effective des médicaments qui sont fournis par des firmes pharmaceutiques. ESPEN renforce les chaînes d’approvisionnement afin que les malades aient accès à tous les médicaments possibles.

Comment appréciez-vous l’apport du secteur privé pour l’atteinte des objectifs d’élimination d’ici 2030 ?

Notre longue et difficile lutte contre les MTN a pris un tournant important ces dernières années. En 2012, des organisations philanthropiques comme la Fondation Bill & Melinda Gates, des pays donateurs comme les États-Unis et le Royaume-Uni, des gouvernements de pays endémiques et des laboratoires pharmaceutiques ont signé la Déclaration de Londres. Ils ont pris l’engagement de contrôler ou éradiquer 10 maladies tropicales négligées d’ici janvier 2020. Simultanément, de grandes compagnies pharmaceutiques se sont engagées à donner tous les médicaments nécessaires pour atteindre les objectifs. On parle d’environ 17,8 milliards de dollars.

Donc un élan de solidarité internationale ?

Absolument ! La création d’ESPEN fait suite à cet engouement au niveau international. L’OMS a jugé nécessaire de mettre sur pied ce partenariat public-privé pour assurer la coordination des efforts. Le contrôle et l’élimination des PC-MTN coûtent moins de 0,50 dollars par personne et par an. Je rappelle qu’en 2012, le groupe pharmaceutique Merck s’est engagé à faire don chaque année de 25 à 250 millions de comprimés de Praziquantel à l’OMS jusqu’à l’élimination de la schistosomiase. Les dons de médicaments sont une grande victoire. Mais il est essentiel de s’assurer que ces médicaments atteignent ceux qui en ont le plus besoin, même dans les zones difficiles d’accès.

Après 2 ans d’existence, quel bilan dressez-vous du projet ?

Grâce à un partenariat dynamique, nous avons pu accomplir de nombreux progrès dans la lutte contre les 5 maladies susmentionnées. Rien qu’en 2017, ESPEN a fourni un appui opérationnel et technique à 32 pays africains. Nous avons pu atteindre et administrer des traitements préventifs à 30 millions de personnes supplémentaires. Grâce à une analyse de la chaîne d’approvisionnement dans 7 pays, 132 millions de comprimés ont été récupérés. Vu l’importance de la maîtrise des données dans notre contexte de contrôle et d’élimination des MTN, ESPEN a complété un exercice sans précédent. Cet exercice a consisté à cartographier la répartition des maladies à travers les pays, y compris au niveau sous-régional. Toutes les données collectées sont en ligne sur le site http://espen.afro.who.int. Ministères de la santé et aux autres partenaires y trouveront des informations nécessaires. Aucune de ces réalisations n’aurait été possible sans la participation active de chacun de nos partenaires.

Des difficultés dans sa mise en œuvre ?

Nous travaillons à trouver des moyens pour l’élimination des maladies tropicales négligées. Le continent africain a encore besoin de plus de partenaires. Pour vraiment atteindre les objectifs fixés, il faut s’assurer à avoir plus de partenaires pour trouver d’autres opportunités.

Quelle est votre grande satisfaction ?

Ces 2 dernières années, ESPEN est parvenu à asseoir une appropriation au niveau des pays. Le programme a aidé les gouvernements à développer des plans nationaux stratégiques. Il les accompagne pour avoir une vision claire devant leur permettre d’avancer vers l’élimination de ces maladies. Le volet stratégique, c’est mener des campagnes de prévention dans 100% des zones affectées ou à risque. Il y a encore des zones qui ne bénéficient pas de traitement et de prévention. Donc nous devons faire de sorte que les pays puissent mobiliser les ressources nécessaires pour assurer une bonne couverture.

Quels autres défis auxquels le projet et les pays africains sont confrontés dans la lutte contre les MTN ?

Outre les questions de logistique et de coordination des efforts, notre défi majeur consiste à faire prendre conscience de l’importance d’arriver à une élimination totale de ces maladies. Nous ne pouvons aspirer atteindre les Objectifs de développement durable sans avoir mis un terme aux fléaux humains et économiques que représentent les MTN. Ces maladies sont dites « négligées » parce qu’elles ne tuent pas autant que d’autres pathologies. Mais leur éradication fait partie intégrante de notre lutte pour une Afrique saine et prospère.

Comment évaluez-vous le dispositif de lutte mis en place en Afrique ?

Nous observons un accroissement considérable de l’intérêt porté aux MTN. Les pays touchés par ces fléaux se  mobilisent pour leur élimination. Cette volonté affichée se traduit par l’inscription de la question des MTN sur les agendas des rencontres internationales, à l’instar de la conférence des ministres de la santé de l’Union Africaine tenue à Addis-Abeba en avril 2013 et la mention des MTN au rang de priorité dans le cadre du Plan Stratégique 2014-2020 de l’Organisation ouest-africaine pour la santé. En janvier 2018, l’indice de couverture relatif au traitement de masse contre les MTN a été intégré à la feuille de suivi de l’Alliance des chefs d’États africains contre le paludisme. Idem au niveau des pays où des dispositions ont été prises à plusieurs niveaux.

À vous entendre, le pari de l’élimination des MTN sur le continent est en passe d’être gagné. Est-ce le cas ?

Le Togo est le premier pays en Afrique sub-saharienne à éliminer la filariose lymphatique comme problème de santé publique. Le Ghana est sur le point d’éliminer le trachome. Ces exemples montrent que nous sommes capables de vaincre les MTN. Des pays, à l’exemple du Sénégal, ont atteint les niveaux de contrôle nécessaires pour arrêter les traitements de masse. Nous avons une réelle opportunité de mettre un terme aux 5 maladies car les traitements sont disponibles et gratuits. Il nous faut à présent nous assurer que nous faisons le nécessaire pour que les populations aient effectivement accès à ces traitements. Davantage de ressources financières seront nécessaires.

Quel message à l’endroit des populations vivant dans les zones à risque ?

L’élimination des maladies tropicales négligées est à notre portée. Mais elle ne sera possible que grâce à l’implication de communautés informées et autonomes. Les médicaments contre ces 5 maladies sont disponibles et distribués gratuitement par des membres de nos communautés à travers tout le continent. Les MTN peuvent être évitées à condition que les communautés aient accès aux bonnes informations et aux moyens de prévention tels que les moustiquaires imprégnées. Les familles sont des acteurs clés lorsqu’il s’agit de passer le message.

Propos recueillis à Dakar (Sénégal) par BACARY DABO. L’interview originale est sur le siteallafrica.com


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