Burkina : quand Diendéré tente de justifier « le coup d'État le plus bête du monde »
Pour la première fois depuis son
arrestation, Gilbert Diendéré, l’ancien chef d’état-major particulier de
Compaoré, revient sur ces jours de septembre 2015 où tout a basculé.
Voilà deux ans qu’il est enfermé entre les murs décrépis de la maison
d’arrêt et de correction des armées (Maca), à Ouagadougou. En polo gris et
pantalon de toile, Gilbert Diendéré ne porte plus le treillis mais ne se plaint
pas : il assure qu’il tient le coup, qu’il « n’y a pas de problème ». La
détention n’a pas changé la nature de ce militaire aussi courtois que taiseux.
Pourtant, en cette chaude matinée de septembre, assis sur une chaise en
plastique sous un manguier dans la cour de la prison, l’ancien chef
d’état-major particulier de Blaise Compaoré accepte pour la première fois
d’évoquer les épisodes qui l’ont conduit ici. D’une voix calme, parfois
hésitante, il tente d’expliquer comment il est sorti de l’ombre pour prendre la
tête du « coup d’État le plus bête du monde », en septembre 2015.
Inculpé, entre autres, pour « haute trahison », Gilbert Diendéré revient
sur la chute de son patron pour expliquer la sienne. Après le départ de
Compaoré pour la Côte d’Ivoire, le 31 octobre 2014, Diendéré reste à
Ouagadougou mais fait profil bas. Il assiste, impuissant, à la fulgurante
ascension de son ancien subordonné, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida,
devenu Premier ministre du régime de transition, et à ses tentatives pour
mettre la main sur le puissant régiment de sécurité présidentielle (RSP).
« Il voulait se débarrasser de tous les officiers qui étaient plus gradés
que lui, raconte le longiligne Diendéré derrière ses lunettes fumées. Mais la
troupe n’a pas accepté. Zida s’est alors mis en tête de démanteler le régiment.
»
Aucun officier des autres corps de l’armée n’accepte d’endosser la
responsabilité du coup de force
Entre le chef du gouvernement et son corps d’origine, les tensions iront
crescendo jusqu’au 16 septembre 2015. Ce jour-là, un projet de décret actant la
dissolution du RSP doit être adopté en Conseil des ministres. Furieux, des
soldats débarquent dans la salle du Conseil et arrêtent le président Kafando et
le Premier ministre Zida. « Je n’étais au courant de rien, prétend aujourd’hui
Diendéré. Ce sont des sous-officiers [dont il refuse de donner l’identité] qui
étaient à la manœuvre. Peu après, des hommes sont venus chez moi pour
m’informer de la situation. »
« Pour le bien du pays »
Face au coup d’État qui se profile, hauts gradés et personnalités civiles
tentent de mettre en place une médiation. Les discussions durent toute la nuit.
Aucun officier des autres corps de l’armée n’accepte d’endosser la
responsabilité du coup de force, dont ils attribuent la pleine responsabilité
au RSP. « J’ai donc fini par assumer en prenant la tête de ce mouvement, car
j’étais un des seuls à pouvoir le faire, se justifie-t‑il. Je l’ai fait
dans un esprit d’apaisement, pour essayer d’aboutir à une
solution consensuelle. »
Beaucoup pensent à un geste télécommandé par Blaise Compaoré depuis
Abidjan, où il est exilé
Diendéré affirme également avoir voulu ainsi permettre l’organisation
d’élections « véritablement démocratiques et ouvertes à tous », alors que les
autorités de transition avaient interdit aux candidats pro-Compaoré de se
présenter. Mais mesurait-il le risque qu’il encourait en se lançant dans une
telle aventure ? L’intéressé répond par l’affirmative : il en était «
parfaitement conscient », mais il fallait le faire « pour le bien du pays ».
Médiation et pressions
Le 17 septembre, le voici donc proclamé président d’un « Comité national
pour la démocratie ». Le coup d’État est confirmé. Beaucoup pensent à un geste
télécommandé par Blaise Compaoré depuis Abidjan, où il est exilé. « C’est
totalement faux, rétorque son fidèle bras droit. Il ne m’a appelé qu’une fois,
dans les premières heures, pour savoir ce qui se passait au pays. » Il admet
aussi avoir reçu un autre appel de Côte d’Ivoire, celui de Guillaume Soro, le
président de l’Assemblée nationale, accusé d’avoir soutenu les putschistes.
Pour lui proposer son aide ? « Non. Comme Blaise, il cherchait juste à
s’informer de la situation. » Quant à Djibrill Bassolé, l’ex-chef de la
diplomatie de Compaoré, également inculpé dans cette affaire, il certifie ne
l’avoir vu qu’une seule fois pendant ces événements. Bassolé, assure-t‑il, lui a
simplement proposé « de demander au Niger de jouer les
médiateurs ».
« Je savais ce qui m’attendait mais je voulais faire retomber la tension
», explique Diendéré
Dès le 18 septembre, des négociations démarrent sous l’égide de la Cedeao
tandis que des tirs résonnent toujours au centre-ville. Face aux médiateurs
ouest-africains qu’il connaît bien, Diendéré affirme avoir donné des gages de
bonne volonté. « J’étais prêt à tout accepter pour trouver une sortie de crise
pacifique. Je n’ai jamais recherché les rapports de force ou la confrontation.
»
En réalité, il est soumis à une triple pression : de la rue, d’une frange
loyaliste de l’armée et de la communauté internationale, qui exigent qu’il
remette le pouvoir aux civils. Le 23 septembre, il met fin à son putsch et
Michel Kafando est réinstallé dans ses fonctions de président. Une semaine plus
tard, il se rend aux autorités. « Je savais ce qui m’attendait mais je voulais
faire retomber la tension. » Sans doute espérait-il aussi que la justice se
souviendrait de ce geste au moment de se prononcer sur son sort.
Le rôle de Yacouba Isaac Zida
Ces péripéties, qui lui valent aujourd’hui de croupir en prison, Diendéré
les attribue en grande partie à un homme : Yacouba Isaac Zida. Selon lui,
l’ex-Premier ministre a « tout fait » pour se maintenir le plus longtemps
possible au pouvoir. « Il cherchait un moyen de repousser les élections. Il a
provoqué le RSP à dessein, au fil des mois, pour le mener à la faute et
provoquer un désordre qui lui serait favorable. »
S’il voulait rester au sommet de l’État, c’était « pour continuer à
s’enrichir illégalement ». Diendéré dit avoir alerté Michel Kafando à plusieurs
reprises au sujet de ses « magouilles », y compris devant témoins (les
ambassadeurs de France et des États-Unis de l’époque), mais sans que cela soit
suivi d’effet. « L’histoire me donne aujourd’hui raison, estime-t‑il.
Personne ne m’a écouté et Zida a
fui le pays à cause de toutes ces affaires. »... Suite sur www.jeuneafrique.com